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jeudi, mars 28, 2024

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Égypte: le nouveau coronavirus menace les médecins non protégés

Des magasins aux rideaux baissés et des rues désertes font face à l’hôpital Abbasia du Caire, dédié à la quarantaine des patients atteints du COVID-19. Savoir que celui-ci soigne des centaines de personnes infectées par le coronavirus a bridé cette zone généralement animée.

Quelques membres du personnel de l’hôpital, fatigués, s’y attardent, reprenant des forces dans l’un des rares fast-foods restés ouverts.

Parmi eux se trouve Mohamed Abdel Latif, pneumologue de 34 ans, prenant sa pause déjeuner avant de remplacer un collègue qui a été infecté par le coronavirus il y a quelques jours – un cas parmi le nombre croissant de soignants touchés par le COVID-19 en Égypte.

Assis par terre, Abdel Latif ôte partiellement son masque chirurgical pour prendre une bouchée de son sandwich.

« Une vingtaine de personnes de ma promotion ont été contaminées jusqu’à présent. D’autres envisagent de démissionner et de ne plus travailler pour le gouvernement, de passer un master et de quitter le pays », confie-t-il à Middle East Eye.

« Mais au bout du compte, si les médecins décident de reculer devant ce défi, le pays sombrera littéralement dans le chaos et c’est ce que le ministre [de la Santé] ne comprend pas. »

Abdel Latif lui-même a été en contact avec un collègue contaminé mais, étant donné que les tests gérés par l’État ne sont tout simplement pas accessibles à la majorité du personnel médical égyptien, la direction de l’hôpital lui a conseillé de s’isoler pendant deux semaines.

Au lieu d’éloigner du front un médecin en bonne santé, le docteur Abdel Latif a pris sur lui de débourser 5 000 livres égyptiennes (285 euros) pour réaliser deux tests de dépistage du coronavirus. Ils étaient négatifs et il est retourné travailler.

« Heureusement, ma famille peut s’offrir les tests dans un hôpital privé. Il y a des milliers de médecins qui ne le peuvent pas. »

À ce jour, 28 soignants sont morts après avoir contracté le coronavirus dans le pays et 372 ont été infectés, selon le Dr Ibrahim el-Zayat, membre du Syndicat médical égyptien (EMS).

Des dizaines de médecins à travers l’Égypte, y compris Mohamed Abdel Latif, pensent que le ministère de la Santé a pris des décisions arbitraires et a laissé tomber les soignants par son manque de tests disponibles et la pénurie chronique d’équipements de protection.

L’ONU également a appelé le gouvernement égyptien à multiplier les dépistages.

Ces échecs apparents ont abouti à de nombreuses démissions de médecins et à la condamnation du syndicat médical égyptien, qui accuse le ministère de ne pas protéger le personnel médical, sous-équipé, submergé de travail et sous-payé.

Le mécontentement et les menaces de grève ont conduit les médias progouvernementaux et certains responsables à accuser les médecins de sabotage. Comme c’est souvent le cas avec les détracteurs du gouvernement égyptien, ils sont accusés d’être membres des Frères musulmans, groupe d’opposition interdit dans le pays.

De « l’armée blanche » aux Frères musulmans

Au début de la crise, les soignants étaient qualifiés d’« armée blanche de l’Égypte ».

Plusieurs chaînes de télévision détenues par les renseignements et des partis politiques progouvernementaux ont produit et diffusé plusieurs vidéos comparant leur travail à celui de l’armée et de la police, qui sont glorifiées dans le pays.

Ces vidéos montraient un groupe de médecins et d’infirmières prenant la pose dans des hôpitaux et des cliniques, avant de passer à des images de membres de l’armée et de la police lors d’opérations de sécurité. Certaines d’entre elles comprenaient des chansons faisant l’éloge du président Abdel Fattah al-Sissi.

Dans les médias, des articles et des reportages étaient dédiés à la glorification des soignants.

Interrogée sur l’existence de preuves étayant ces accusations, la députée progouvernement répond que « plusieurs comptes et sites affiliés avec le groupe terroriste donnent l’impression que l’État n’apprécie pas et ne protège pas l’“armée blanche de l’Égypte” et que [les médecins] sont abandonnés par le peuple et le gouvernement ».

En ce qui concerne les appels à la grève et les démissions, Maysa Atwa prévient que « des comptes devront être rendus pour ces actes de haute trahison », ajoutant que « servir la nation à une époque aussi critique est une mission patriotique que personne ne doit abandonner ».

Une source au sein du syndicat médical réfute pour sa part les accusations selon lesquelles les médecins sont « manœuvrés par les Frères musulmans », ajoutant que de telles allégations ne sont pas nouvelles.

« L’État s’en sert [des accusations] pour discréditer toute critique, même si cette critique est pour le bien des citoyens », confie notre source.

« Les exigences des médecins sont justifiées et ne sont pas politisées. Nous avons besoin de protection, de tests PCR, de zones de quarantaine et il est normal de donner la priorité aux soignants car un médecin malade peut infecter des dizaines de patients et des dizaines de collègues. »

Notre source précise que la situation actuelle est désespérée et que les hôpitaux sont quasiment pleins.

« Plusieurs hôpitaux renvoient des patients chez eux, non pas en raison des protocoles “pas de test” du ministère mais parce qu’il n’y a pas de lit. »

« Nous demandons au gouvernement et à la population de réfléchir de façon pragmatique. Si un grand nombre de médecins se fait contaminer, qui nous soignera si nous tombons malades ? »

Des hôpitaux dépassés

Pour un médecin de l’hôpital général al-Demerdash, au Caire, une grève est le moindre des problèmes du gouvernement.

« Le véritable danger est que les médecins pourraient cesser de venir, soit parce qu’ils sont morts, soit parce qu’ils sont malades, soit par peur d’attraper le virus », déclare-t-il à MEE sous couvert d’anonymat.

Il prévient qu’il y a également un risque que des centaines de médecins tout juste diplômés, qui sont automatiquement dispatchés dans les hôpitaux gouvernementaux du pays, pourraient décider de ne pas se présenter pour se protéger eux et leurs familles dans ces conditions indécentes ».

« Et ceux qui travaillent actuellement, ils abandonneront leur poste lorsqu’ils verront que le gouvernement s’intéresse davantage au dépistage des célébrités de la télé, des députés et des membres de la justice », ajoute-t-il.

Samia, médecin de 29 ans à l’hôpital Agami d’Alexandrie, affirme à MEE : « Les médecins ne veulent pas de chansons, de clips vidéo ou de slogans les désignant comme une armée car ils font leur boulot tout en étant sous-payés et submergés de travail. Ils ont besoin de protections physiques, éléments cruciaux pour vaincre le virus. »

Elle déplore les « coups de pub » de l’État, qui a envoyé des masques et des équipements de protection individuelle aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Italie alors qu’elle et ses collègues sont contraints d’acheter ces mêmes équipements sur internet et au marché noir.

« On nous délivre deux masques chirurgicaux par jour et des gants. Certains patients ont des masques N95 et pas nous », regrette-t-elle.

« Comment l’État, qui est si pauvre et si mal équipé pour gérer le virus, où les infirmières et les médecins doivent porter des sacs-poubelle pour se protéger, peut-il donner des équipements de protection gratuitement aux plus riches alliés du gouvernement ? », s’interroge-t-elle.

Alors que le nombre de cas confirmés en Égypte dépasse les 28 000, le conseiller du président aux affaires sanitaires, Mohamed Awad Tageldin, prévoit que l’épidémie atteindra son pic dans une semaine.

Le pays tente pourtant d’ouvrir quelques hôtels touristiques, des usines, des tribunaux et des institutions privées comme publiques.

Les Égyptiens ont commencé à relâcher leur vigilance et beaucoup ignorent les mesures de distanciation physique et violent les couvre-feux. Des magasins, des banques, des restaurants et des centres commerciaux commencent à voir revenir les foules.

Dans la ville de Fayoum, un autre médecin rapporte à MEE que son équipe et lui doivent chaque jour refuser des dizaines de personnes, y compris des soignants de l’hôpital où il travaille. Les hôpitaux sont tout simplement pleins, explique-t-il.

« Si le gouvernement continue à ignorer les exigences des médecins et poursuit ses mesures d’ouverture, la panique et le chaos s’ensuivront car les hôpitaux seront dépassés, ce qui aboutira à des violences et au népotisme », estime-t-il.

« Tout l’équipement militaire et les soldats du monde ne seront d’aucune aide si vous n’avez pas de médecins en bonne santé pour les soigner lorsqu’ils n’arrivent pas à respirer », ajoute-t-il.

« À ce rythme, nous aurons à choisir qui débrancher des respirateurs et qui garder en vie. »

SourceAgences

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