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Irak: les chiites rejettent l’ingérence de l’Iran

À huis clos, ou presque, l’Irak est secoué depuis plus d’un mois par un vaste mouvement de révolte réprimé dans le sang. Dénonçant la corruption qui gangrène le pouvoir et l’incapacité du gouvernement à fournir les services publics élémentaires (eau et l’électricité), des milliers d’Irakiens manifestent depuis le 1er octobre dernier à Bagdad et dans le Sud, majoritairement chiite, du pays. Mais la réponse gouvernementale est féroce. Au moins 319 personnes ont été tuées et près de 12 000 blessées.

Chercheur au CNRS, où il officie en tant qu’anthropologue, Hosham Dawod est l’un des rares chercheurs à avoir pu se rendre en Irak au cours des semaines écoulées. Dans un entretien au Point, il explique pourquoi les chiites irakiens se révoltent contre leur classe politique, mais aussi contre l’Iran.

Le Point : Avez-vous été témoin d’une intensification de la mobilisation en Irak ?

À huis clos, ou presque, l’Irak est secoué depuis plus d’un mois par un vaste mouvement de révolte réprimé dans le sang. Dénonçant la corruption qui gangrène le pouvoir et l’incapacité du gouvernement à fournir les services publics élémentaires (eau et l’électricité), des milliers d’Irakiens manifestent depuis le 1er octobre dernier à Bagdad et dans le Sud, majoritairement chiite, du pays. Mais la réponse gouvernementale est féroce. Au moins 319 personnes ont été tuées et près de 12 000 blessées.

Chercheur au CNRS, où il officie en tant qu’anthropologue, Hosham Dawod est l’un des rares chercheurs à avoir pu se rendre en Irak au cours des semaines écoulées. Dans un entretien au Point, il explique pourquoi les chiites irakiens se révoltent contre leur classe politique, mais aussi contre l’Iran.

Le Point : Avez-vous été témoin d’une intensification de la mobilisation en Irak ?

Hosham Dawod : En effet, nous assistons à une intensification de la mobilisation. Les manifestations sont aujourd’hui plus structurées politiquement qu’au début du mois d’octobre. Dans leur majorité, les manifestants savent exactement ce qu’ils veulent : le départ du gouvernement, qui n’a pas du tout été à la hauteur pour répondre aux défis qui lui étaient posés et qui est responsable d’un grand nombre de morts. L’exécutif est aujourd’hui à bout de souffle.

Qui sont les manifestants ?

Il s’agit du soulèvement essentiellement de la population arabe chiite d’Irak. Il est intéressant de noter qu’il bénéficie d’une vraie compréhension de la part de l’ensemble du peuple irakien. La modération des revendications et l’aspect pacifique des rassemblements rendent les manifestations très populaires. À Bagdad et ailleurs, des familles entières descendent dans la rue pour ravitailler en eau et en nourriture les manifestants. Les rassemblements sont d’ailleurs marqués par un haut degré de civilité. Ainsi, après chaque manifestation, les rues sont nettoyées. Les contestataires sont aujourd’hui rejoints par les écoles, les universités et les fonctionnaires, quand ces derniers, sous la pression du gouvernement, en ont la possibilité. On a vraiment l’impression d’assister à la fin du cycle politique inauguré en 2003, avec la chute de Saddam Hussein.

Qu’entendez-vous par là ?

L’invasion du pays par les États-Unis a entraîné une mise sous tutelle américaine de la politique du pays, avant que celle-ci ne devienne américano-iranienne. À mon sens, elle est aujourd’hui plus irano-américaine. Cela fait seize ans que le système politique en Irak n’a été qu’un simulacre de changement du pouvoir, qui n’a produit que corruption et despotisme. La loi électorale en vigueur n’a été taillée que pour reproduire des partis politiques coupés de la société. Ce qui est intéressant aujourd’hui dans le mouvement de contestation, c’est que ce sont les Irakiens eux-mêmes qui prennent leur destin en main. Cela perturbe bien évidemment le jeu de l’Iran, mais aussi celui de l’Occident. Rendez-vous compte, il a fallu attendre quarante jours pour que la Maison-Blanche daigne publier un communiqué face aux événements !

Nés après 2003, les jeunes ne peuvent être accusés d’être pro-Saddam.

N’est-il pas étrange que des chiites se révoltent face à un pouvoir lui aussi majoritairement chiite ?

Pas du tout. C’est un raccourci qui a été utilisé dans la manière d’aborder la politique en Irak depuis 2003. Par facilité, on a coupé ce pays en trois groupes politico-ethniques : les Kurdes, les chiites et les sunnites. Ce discours ne tient plus aujourd’hui, à commencer par la base chiite. Celle-ci ne détermine plus sa citoyenneté par sa situation confessionnelle, mais avant tout par son appartenance nationale. Nous assistons chez les chiites d’Irak à un revirement du discours national, avec un réinvestissement des symboles, que ce soit au niveau du drapeau ou à celui de l’hymne. Nés après 2003, les jeunes ne peuvent être accusés d’être pro-Saddam ou pro-baasistes (le parti socialiste laïque de l’ancien raïs, démantelé en 2003 par les Américains, NDLR). Lorsqu’on demande aux manifestants ce que signifie être irakien, ils répondent que c’est avant tout être citoyen de ce pays, bénéficier de plus de justice et être moins humilié.

Les manifestants ont, à plusieurs reprises, brûlé des drapeaux iraniens. Pourquoi ?

Une écrasante majorité d’Irakiens s’estime malmenée par la présence massive d’Iraniens en Irak, notamment à travers les milices chiites. L’Iran apporte un soutien massif au pouvoir à Bagdad, qui est dominé par les partis politico-religieux chiites. Il s’est également rapproché des deux partis dirigeant le Kurdistan irakien (PDK et UPK). Téhéran a également réussi à coopter plusieurs partis politiques sunnites. Aux yeux des pays de la région et de l’Occident, les Iraniens sont tout bonnement devenus les maîtres du jeu politique en Irak. Mais, au-delà des apparences, personne n’a vu ce qui se passait en réalité dans la société irakienne : un rejet de l’ingérence iranienne politique, idéologique et sécuritaire.

Téhéran ne comprend pas que le pays est arrivé à un niveau de crise […] tel qu’il ne peut faire autrement que de se révolter.

Qui est, selon vous, derrière la répression sanglante des manifestations ?

Il s’agit au départ de certains groupes armés chargés de la sécurisation de Bagdad. Datant de l’époque de l’ancien Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, ils ont été recrutés selon leur appartenance locale et leur dévouement politique. Leur but est plus de protéger le régime politique que la population. Ils ont été épaulés par des services de sécurité militaires, comparables à notre gendarmerie, mais aussi par des forces antiémeute et des milices. Ces trois corps dépendent du ministère irakien de l’Intérieur, qui est totalement noyauté depuis dix ans par la milice Badr (proche de l’Iran, NDLR). D’autres milices, membres des unités de mobilisation populaire [qui ont été créées en 2014 pour lutter contre Daech, NDLR], sont également derrière la répression des manifestants. Elles sont formées et armées par l’Iran. Tous ces groupes ont laissé certains corps de l’armée régulière agir en première ligne, avant d’intervenir à leur tour à leur guise. Lors du dernier Conseil de sécurité nationale, traditionnellement composé de militaires et de politiques, près de la moitié des membres étaient des chefs de milice. Ils ont été les plus radicaux vis-à-vis des manifestants.

Le rôle des milices n’a-t-il pas été minoré par le rapport gouvernemental sur la répression ?

Le rapport s’est révélé être une mascarade obtenue sous la pression du Premier ministre et de l’Iran pour incriminer l’armée et écarter le rôle des vrais commanditaires de la répression. Ainsi, le document a minimisé la répression féroce qui s’est abattue contre les manifestants. Il évoque simplement à deux reprises des « violences disproportionnées » et parle d’émeutes et de manifestants hostiles à l’État irakien. Personne n’a pris ce rapport au sérieux.

Face aux manifestants, Téhéran et les partis politiques chiites paraissent déterminés à mater la révolte, y compris dans le sang.

En effet, l’Iran ne cesse de menacer les manifestants. En somme, le message envoyé est : « On n’a jamais laissé tomber Bachar el-Assad en Syrie, on ne le fera pas avec Adel Abdel-Mehdi. » D’ailleurs, le récent discours prononcé à Téhéran par le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, qui dénonce un « complot » contre l’Irak, donne l’impression de légitimer toute répression à venir. Mais Téhéran ne comprend pas que le pays est arrivé à un niveau de crise économique et sociale, de corruption et d’humiliation tel qu’il ne peut faire autrement que de se révolter.

Les événements en Irak trouvent également un écho au Liban, où la population gronde également contre les élites corrompues.

La situation actuelle dans la région est difficile pour l’Iran. La République islamique se sent encerclée, que ce soit avec les manifestations au Liban ou en Irak. Mais, dans la mise en œuvre de la politique iranienne dans la région, ce dernier pays est autrement plus important. L’Irak est le grenier de l’Iran, son premier marché international qui lui permet d’exporter ses produits et de contourner les sanctions imposées par les États-Unis. Ce pays représente toute la continuité géographique, politique et stratégique de l’Iran au Moyen-Orient, lui offrant une voie vers la Syrie et le Liban. L’Irak est donc un pays incontournable pour la République islamique, qui se battra à mort pour le conserver dans son giron.

Comprenez-vous le relatif silence de la France depuis le début des manifestations ?

Il y a une incompréhension de la part de la société civile irakienne par rapport à la politique de la France. Certes, tout le monde sait que Paris n’a plus les moyens de ses ambitions au Moyen-Orient, mais personne ne comprend pourquoi la France s’obstine toujours à rester du mauvais côté de l’histoire – celui des despotes – lors de grands événements en Irak. Cela a été le cas hier avec Saddam Hussein contre sa population, et aujourd’hui avec un pouvoir central contre son peuple. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian n’a pas eu un mot pour le respect des droits de l’homme en Irak et pour les nombreuses jeunes victimes des manifestations alors qu’il se trouvait en Irak au mois d’octobre pour discuter du sort des djihadistes français. Cette indignation vis-à-vis de la France remontera tôt ou tard à la surface.

SourceLe Point

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