Comment aborder le «monstre d’Arabie» ? Deux documentaires diffusés dans les prochains jours à la télévision française tentent de répondre à la question que se posent dirigeants, diplomates et experts à propos de Mohammed ben Salmane («MBS»). Le premier, MBS, prince d’Arabie, du réalisateur Antoine Vitkine retrace l’ascension fulgurante du Prince héritier saoudien tandis que dans Meurtre au consulat, l’Américain Martin Smith, journaliste spécialiste du Moyen-Orient, déploie un documentaire-enquête en deux parties sur le suspect de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018 à Istanbul.

D’entrée de jeu, Antoine Vitkine qui avait déjà réalisé des portraits très maîtrisés de Vladimir Poutine et de Bachar al-Assad, résume en quelques plans et quelques phrases le dilemme et les enjeux posés par le controversé personnage. Sur les images de MBS lors d’un sommet du G20 aux côtés des plus grands leaders mondiaux, le prince colosse est présenté à la première personne : «Je suis Mohammed ben Salmane, 34 ans, j’ai tué un journaliste, je mène une guerre sanglante au Yémen. Je suis pourtant reçu avec les honneurs partout. Mon Royaume contient les plus grandes réserves mondiales de pétrole. J’achète des armes à tout le monde. Je suis un partenaire clé dans la lutte contre terrorisme. Je mène des réformes qui peuvent transformer mon pays et vous enrichir. Je suis votre allié incontournable.» Ces deux premières minutes du documentaire mettent en avant l’infréquentable autant qu’incontournable Mohammed ben Salmane.

Retors et réformateur

Pour son récit-décryptage de l’ascension fulgurante du jeune Prince, Vitkine a réuni des images d’archives de MBS enfant, jeune et déjà retors. Avec le souci de l’équilibre permanent, il retrace les errances dramatiques du brutal impulsif comme les réalisations historiques du réformateur de la société de son royaume.

L’aventurisme de la guerre au Yémen est bien expliqué pour celui qui cherchait une gloire rapide avant de se retrouver embourbé dans un conflit meurtrier éloignant ses plus proches alliés à commencer par les Etats-Unis d’Obama, mais aussi la France.

Dans le registre du réformateur, les décisions spectaculaires sur le musellement des salafistes et l’interdiction de la police religieuse dans le royaume, puis l’autorisation de la conduite pour les femmes et leur affranchissement total de la tutelle de leurs hommes, sont illustrées par les images de spectacles dans les stades et les salles de concerts combles à Riyad. Une ouverture de la société saoudienne à la culture des loisirs marquée par un discours de MBS sur le retour à un islam modéré.

Les images de l’affirmation de MBS sur la scène internationale fatiguent par les archives répétitives des ballets de limousines et de jets privés sur les tarmacs d’aéroports ou vers les lieux de réunion d’un luxe mégalomaniaque et d’un mauvais goût affirmé. Les dizaines de silhouettes blanches des Saoudiens en «dishdashas» et keffieh rouge et blanc traditionnels servent mal le propos.

Propos plus bouleversants

C’est essentiellement dans les images d’ailleurs que réside l’immense avantage du documentaire de Martin Smith. Car la possibilité qu’a eu le vieux routard du Moyen-Orient de tourner sur le terrain en Arabie Saoudite à Riyad et d’interroger les gens sur place apporte une dimension bien réelle au documentaire. Les entretiens de l’auteur avec son «ami» Jamal Khashoggi, qui sera assassiné quelques mois plus tard rendent évidemment le propos plus bouleversant.

Mais contrairement à ce que peut laisser croire le titre du documentaire, Meurtre au consulat n’est pas uniquement un film à charge contre MBS, soupçonné d’avoir commandité le meurtre de son opposant. «Modernisateur ou tyran ?» la question est également posée dès le début du documentaire de Martin Smith.

Celui-ci pose son regard de spécialiste de l’intérieur de la famille royale et du système saoudien. Il a eu l’occasion d’interviewer et d’échanger des SMS avec le jeune Prince héritier comme il a rencontré pour son enquête des acteurs clés du dossier Khashoggi : dignitaires saoudiens, ex-agents de la CIA, activistes, proches de détenus politiques, militants des droits de l’homme. La plongée en images de Smith dans l’histoire récente du roi Salmane, montre qu’il est bien le père de son fils préféré.