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Kamal Jendoubi : « La guerre au Yémen s’enlise devant une volonté claire de n’en pas parler »

La guerre au Yemen s’enlise. Les combats et l’intervention de la coalition internationale ont des conséquences graves sur les civils, rapporte le groupe d’experts internationaux chargé d’enquêter sur le pays. Alors que son mandat vient d’être renouvelé pour un an par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Kamal Jendoubi, qui dirige ces travaux, fait le point pour Jeune Afrique.

Attaques contre les civils, restrictions d’accès aux marchandises, enrôlement et utilisation d’enfants, détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures, mauvais traitements, violences sexuelles et violations de la liberté d’expression. La liste des exactions pointées par le groupe d’experts sur le Yémen est longue.

Le rapport, publié en août, couvre la période du 1er septembre 2014 au 30 juin 2018 et s’appuie sur des enquêtes de terrain. Le 26 septembre, il a été présenté au Conseil des droits de l’homme, qui a renouvelé dans la foulée le mandat du groupe d’experts.

Jeune Afrique : Votre rapport souligne que le pays connait la plus grande épidémie de choléra de l’histoire contemporaine, sans compter les problèmes d’accès à l’eau et l’insécurité alimentaire qui touche 17,8 millions de personnes. Pire : près de 8 millions de personnes sont au bord de la famine. Votre rapport peut-il accentuer la pression sur les pays de la coalition pour qu’ils facilitent l’accès à l’aide humanitaire ?

Kamel Jendoubi : D’après les échos que je reçois, notre rapport aurait joué un rôle positif pour faciliter le travail des agences humanitaires des Nations unies et encourager la coalition arabe à accentuer ses efforts en ce sens. Les deux pays qui dirigent la coalition ont intensifié leur communication pour valoriser leur rapport à la population. C’est à signaler.

L’Arabie Saoudite communique en effet beaucoup sur l’aide humanitaire qu’elle fournit aux civils. Réalité ou effet de communication ?

À l’évidence, sa participation est importante et elle est d’ailleurs reconnue par les agences de l’ONU. Nous avons constaté un changement de communication globale depuis que la pression internationale s’est accentuée.

Le roi Salmane avait par exemple décrété l’amnistie pour tous les Saoudiens impliqués au Yémen, mais ça ne concerne finalement pas les faits qui pourraient être en contradiction avec le droit humanitaire international. Les centres de rétention dans les zones contrôlées par la coalition ont été transférées à l’autorité judiciaire du Yémen, selon nos recommandations d’ailleurs.

Et beaucoup de prisonniers en ont été libérés ces derniers temps. L’intensité des attaques et bombardements semble également diminuer ces derniers jours. Mais la situation à Hodeïda il y a encore quelques jours étaient extrêmement alarmante.

Quelle est d’ailleurs la situation humanitaire à Hodeïda ?

Les informations sont rares, et nous parviennent via le bureau local du Haut-commissariat des droits de l’homme, qui a mis en place un dispositif de recueil et de vérification de l’information. Nous n’avons pas pu accéder à ce terrain en raison du contexte sécuritaire. Mais tout indique une aggravation de la situation humanitaire. Beaucoup d’habitants ont quitté Hodeïda. Les enfants, les femmes et les personnes les plus vulnérables sont les plus touchées.

Y a-il une aggravation de la situation dans d’autres régions ?

Oui, plus particulièrement dans les zones contrôlées par les autorités de fait [houthis et ex-partisans de Saleh] qui contrôlent moins de 20% du territoire [Sanaa et le Nord] mais contiennent la majeure partie de la population, de 70 à 80% ! Or, précisément, ces zones sont l’objet d’attaques, affrontements et mesures sévères d’accès à l’aide humanitaire, aux produits élémentaires, aux médicaments. Plus de la moitié des hôpitaux ne fonctionnent plus. C’est là que l’on retrouve le plus de maladies, car l’accès à l’eau est de plus en plus dangereux.

Comment faire en sorte que les restrictions d’accès aux marchandises soit levées ?

Un blocus de quinze jours avait été instauré après le lancement des premiers missiles des Houthis sur le territoire saoudien. Le reste du temps c’était très variable, il y a eu des restrictions d’accès qui touchent pour l’essentiel les bateaux qui arrivent par Hodeïda, principale porte du Yémen.

Avant 2015, 90% des besoins essentiels du Yémen étaient importés dont 80% passaient justement par Hodeïda. C’est dire l’importance stratégique du port. L’aéroport de Sanaa est par ailleurs fermé depuis pratiquement deux ans, ce qui empêche le départ des malades vers l’étranger. Les conséquences sont dramatiques.

Vous avez pu vous rendre à Aden, Sanaa et Saada, mais pas l’ensemble des gouvernorats touchés par le conflit en cours. Quelles ont été vos difficultés d’accès au terrain ?
Aucune compagnie aérienne ne dessert le Yémen depuis l’intervention de la coalition. Seule la compagnie nationale affrète quelques avions dans des conditions de sécurité terribles, vers d’autres aéroports. Ces vols sont systématiquement contrôlés par la coalition.

Pour nous, les vols de la compagnie des Nations unies sont aussi contrôlés par la coalition. La liste des passagers doit lui être communiquée. Les accès sont parfois interdits. Bien entendu, les vols ne sont pas réguliers, cela dépend de la situation sécuritaire. L’autre solution est de passer par voie de mer, de Djibouti à Aden, en plus de quatorze heures. Nous avons utilisé les deux moyens.

Avez-vous senti que la coalition a essayé d’entraver votre travail ?

Parfois, ils n’avaient pas la possibilité d’assurer notre sécurité. Nous avons quand même pu rencontrer un certain nombre de personnes, mais c’était paradoxalement beaucoup plus compliqué dans le Sud.

Dans la zone contrôlée par les Houthis, l’accès a été plus facile et plus sûr, sauf à Saada, où c’était vraiment limite en raison d’une offensive aérienne de la coalition. Nous n’avons pas pu accéder à tous les lieux où nous voulions enquêter.

Vous décrivez également la difficulté des médias à couvrir le conflit, la coalition y est-elle pour quelque chose ?

D’une part l’accès au terrain est très compliquée, voire impossible. Ces derniers temps les autorités et la coalition autorisent des missions de médias, étroitement contrôlées. Les visas sont octroyés pour le Sud et la question pour les journalistes reste comment se déplacer vers le Nord, sachant qu’il faut passer par des routes très risquées, souvent aux mains de milices houthies ou autres.

Il faut également composer, selon les territoires, avec les forces émiraties, Al Qaïda, des milices proche de l’Islah (Frères musulmans), l’État islamique. C’est un conflit oublié, il y a aussi une volonté claire pour moi de ne pas trop parler du Yémen, c’est évident.

De mars 2015 à juin 2018, 16 706 civils ont été touchés et 6 475 ont officiellement perdu la vie, mais le chiffre réel est vraisemblablement plus élevé. Dans ces conditions, peut-on parler de frappes ciblées ?

Deux cas ont été reconnus par la coalition comme des bavures : le bombardement en 2016 d’un marché de Sanaa qui a fait 120 morts, puis le bombardement d’un bus scolaire qui a tué 40 enfants en août. Nous avons pu constater que des lieux civils ont été attaqués par la coalition.

Or, le droit international impose un certain nombre de principes : la distinction des objectifs militaires et des zones civiles, le respect des principes de proportionnalité et de précaution. Ce n’était pas le cas dans la majeure partie des cas étudiés.

Certains faits peuvent donc être considérés comme des crimes de guerre. Nous avons soumis nos interrogations à ce sujet à la coalition. Nous avons juste reçu une réponse générale, trois mois après le dépôt du dossier, qui n’apportait aucun élément.

Votre rapport appelle la communauté internationale à s’abstenir de vendre des armes à la coalition. Des poursuites peuvent-elles être envisagées ?

Le fait de fournir des armes à des belligérants susceptibles d’avoir commis des crimes de guerre peut être considéré comme une complicité, passible de poursuites judiciaires. Notre mission d’experts consiste à relever des faits, qui pourront certes être utilisés dans le cadre de poursuites, mais ce n’est pas à nous d’en décider.

Dans notre rapport, nous n’avons pas lancé d’accusations. Et aucun pays de la région n’a ratifié le traité de Rome (instituant la CPI, ndlr). Donc il me semble difficile, pour ne pas dire impossible, que la Cour se saisisse du dossier yéménite.

SourceAgences

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