La CPI autorise d’enquêter sur les crimes commis en Afghanistan

Avocate de deux Afghans incarcérés à Guantanamo, Katherine Gallagher se réjouit. « Les juges ne se sont pas inclinés devant les pressions politiques, ils ont jugé le droit et les faits. » Mais il aura fallu vingt-neuf mois de procédures pour autoriser la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) à enquêter sur les crimes commis depuis 2003 en Afghanistan.

Avec la décision prise le 5 mars par la chambre d’appel, l’enquête est désormais ouverte. Dans un mémoire déposé devant les juges en novembre 2017, Fatou Bensouda en précisait les contours. Ses investigations porteront sur les crimes contre l’humanité commis par les talibans, lors d’une vaste campagne « d’intimidation, de meurtres ciblés, et d’enlèvement de civils », considérés comme favorables au gouvernement et aux forces étrangères, ou s’opposant « à la domination et à l’idéologie des talibans ». Selon la procureure, le conflit opposant les milices au gouvernement aurait fait 26 500 victimes entre 2009 et 2016.

La procureure vise aussi les crimes de guerre des forces sécuritaires afghanes, police et services de renseignements, et ceux perpétrés par les forces internationales, au premier chef l’armée américaine, dont les tortures, les traitements cruels, les violences sexuelles et les viols commis dans la prison de Bagram en 2003 et 2004. Son enquête devrait aussi s’étendre aux prisons secrètes de la CIA, l’agence centrale de renseignement américaine. Fatou Bensouda s’intéresse notamment à celles installées au début des années 2000 en Roumanie, en Pologne et en Lituanie, où des Afghans avaient été torturés après leur enlèvement pour leur appartenance supposée aux talibans ou à Al-Qaida.

Feu vert

Pour le secrétaire d’Etat américain, la Cour a pris une décision « imprudente » après l’accord de paix, déjà vacillant, signé entre Washington et les talibans fin février. On est loin du printemps 2019, et des Tweet au ton triomphant de Donald Trump et Mike Pompeo. A l’époque, les juges préliminaires de la CPI avaient rejeté toute enquête, au motif qu’elle serait contraire « aux intérêts de la justice ». Si les crimes relèvent bien du mandat de la Cour, la procureure ne pourra ni enquêter ni arrêter les suspects, avaient-ils justifié. Quelques jours plus tôt, Mike Pompeo avait révoqué le visa américain de Fatou Bensouda, mettant en œuvre le premier volet d’un train de sanctions annoncées. Avant lui, le conseiller américain à la sécurité nationale de l’époque John Bolton avait promis la fin de la juridiction, et menacé ses magistrats. Menaces réitérées par Donald Trump à la tribune de l’ONU en septembre 2018.

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