Un philosophe allemand renonce à un prix émirati pour « le lien étroit entre l’institution qui remet le prix et le système politique d’Abu Dhabi »

Jürgen Habermas, pointure contemporaine de la philosophie sociale, morale et politique, a annoncé qu’il renonçait au titre de « Personnalité culturelle de l’année », décerné dans le cadre du Prix du livre Cheikh Zayed. La récompense devait lui revenir lors de la Foire du Livre d’Abou Dhabi, organisée du 23 au 29 mai prochain, avec une dotation de 225.000 €.

« Il a influencé de nombreuses disciplines telles que la communication et les études culturelles, la théorie morale, la linguistique, la théorie littéraire, la science politique, la théologie et la sociologie ainsi que la théorie démocratique », saluait alors le jury de la récompense, qui le classait parmi « les philosophes les plus influents du monde ».

Ce 2 mai, un article du Spiegel, signé par Dietmar Pieper, critiquait ouvertement l’accord tacite de Jürgen Habermas pour recevoir la récompense émiratie. « Les règles démocratiques, qui sont sacrées pour Habermas, sont ici bafouées », peut-on lire dans l’article.

Mi-figue, mi-raison

Contacté par le Spiegel, Habermas admet « avoir été soupçonneux au départ, et je me suis renseigné sur l’institution et les précédents lauréats avant d’accepter la récompense », qui lui a été annoncée personnellement par Juergen Boos, directeur de la Foire du Livre de Francfort — événement où les Émirats arabes unis sont toujours présents. En somme, le prestige et la respectabilité des autres lauréats valoriseraient le prix émirati.

Toutefois, le Spiegel met le doigt sur un détail qui n’en est pas un : interrogé sur la présence de Mohammed ben Rachid Al Maktoum parmi les précédents lauréats, il n’aurait fait aucun commentaire. Pourtant, ce dernier, poète, mais surtout émir de Dubaï, jouit d’une réputation qu’il est difficile d’ignorer, reconnu coupable d’avoir maltraité et séquestré sa fille, Latifa Al Maktoum, toujours assignée à résidence à Dubaï.

Mis face à ses contradictions, le philosophe a finalement annoncé qu’il renonçait à la récompense et sa dotation. « C’était une mauvaise décision, que je corrige à présent », a-t-il simplement commenté.

Dans un court message, les organisateurs du prix indiquent « regretter » la décision d’Habermas, et rappellent que « [l]e prix incarne les valeurs de tolérance, de connaissance et de créativité tout en construisant des ponts entre les cultures, et continuera à remplir cette mission ».

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