Reporters sans frontières accuse l’Égypte de « légaliser la censure»

Tous les utilisateurs de Twitter ayant au moins 5 000 abonnés sont désormais directement contrôlés par les autorités égyptiennes, qui peuvent les bloquer et les poursuivre en justice, en vertu de la loi contre « les fausses informations » promulguée le 1er septembre. Cette dernière réglementation vient s’ajouter à une autre loi « contre la cybercriminalité » particulièrement répressive pour les utilisateurs et acteurs d’Internet, adoptée il y a quelques semaines par le Parlement égyptien.

Avant l’été, quand un internaute égyptien voulait accéder au site de Reporters sans frontières, il tombait immanquablement sur une page d’erreur. Ce site, comme près de 500 autres d’ONG, blogs et médias, est bloqué depuis plus d’un an à l’intérieur des frontières de l’Égypte. Cette censure, qui ne disait pas encore officiellement son nom, pouvait être contournée en utilisant le navigateur Tor ou un VPN (c’est-à-dire un outil facile à installer qui permet de surfer incognito en masquant son lieu de résidence). Sauf que depuis la fin de l’été, ces internautes trop malins sont passibles de deux ans de prison et jusqu’à 24 000 euros d’amende, selon l’article 22 de la nouvelle législation sur la cybercriminalité.

Au nom de la sécurité nationale

Les administrateurs des sites déplaisants aux autorités s’exposent également à des peines de deux ans de prison. Désormais toute page web menaçant « la sécurité nationale » ou « l’économie nationale » tombe dans la définition égyptienne de la cybercriminalité. Les autorités pourront donc ordonner leur blocage. Non seulement cette législation inédite « légalise la censure sur Internet déjà pratiquée en Égypte », mais en plus elle offre une « définition très vague et large de la sécurité nationale », dénonce Sophie Anmuth, directrice du bureau Moyen-Orient à Reporters sans frontière.

Par « sécurité nationale », la présidence d’al-Sissi entend en effet « tout ce qui est lié à l’indépendance, la stabilité, la sécurité du territoire, son unité, son intégrité territoriale » ainsi que tout ce qui concerne la présidence de la République, l’armée et les services de sécurité.

Critiquer l’inaction de la police face au harcèlement sexuel peut, par exemple, être considéré comme une atteinte à la sécurité nationale. C’est en tout cas une des charges retenues contre Amal Fathy, une féministe emprisonnée depuis quatre mois pour avoir posté une vidéo où elle s’insurgeait du harcèlement qu’elle venait de subir au Caire.

29 nouveaux délits

Au-delà de la défense de la sécurité nationale, cette loi contre la cybercriminalité crée 29 nouveaux délits. L’étude détaillée produite par Mada Masr, un des derniers sites d’information indépendants (et bloqué), montre à quel point les internautes égyptiens marchent sur une ligne de crête de plus en plus réduite

Publier des contenus allant à l’encontre « des principes familiaux et des valeurs de la société égyptienne » est désormais un délit puni de six mois de prison. Dans un pays où l’avortement est interdit, où les autorités traquent les homosexuels et où les relations hors mariage sont socialement sanctionnées, la liste des possibles offenses risque d’être longue.

Même si les réseaux sociaux sont régulièrement le théâtre de violentes polémiques entre conservateurs et libéraux, ils ont permis de déclencher et d’offrir une plateforme d’expression inédite à des sujets de société longtemps tabous en Égypte, comme l’athéisme, la sexualité ou encore les droits des minorités.

Les comptes parodiques interdits

Le nouvel arsenal législatif interdit également de parodier les comptes de personnalités publiques. S’il était égyptien, l’auteur du compte satirique « Passion Macron » qui reprend – fort probablement sans son accord – l’image et le nom du président de la République françaiserisquerait trois mois, voire un an de prison si le juge considère qu’il est insultant. Mada Masr ajoute que de nombreux fans peuvent se retrouver aussi dans l’illégalité, par exemple « s’ils voient un acteur célèbre avec un officiel du gouvernement, le prennent en photo et mettent en ligne le cliché ». La peine sera de six mois de prison.

Plus cocasse, utiliser gratuitement le Wifi de son voisin, même avec son accord, est puni de 3 mois d’emprisonnement.

Plus absurde cette fois, les experts en cybersécurité, dont la tâche est de lutter a priori contre la cybercriminalité, ont paradoxalement aussi quelques raisons de s’inquiéter. Si un « gentil » hacker repère que le site d’une banque égyptienne n’est pas bien sécurisé et le lui signale, il pourra être condamné à 3 mois de prison et/ou 2 500 euros d’amende, selon l’article 23.

« L’Égypte a besoin d’ouverture »

« Avec cette loi, n’importe quel internaute voulant exercer ses droits fondamentaux pourra être poursuivi et condamné », critique Mohammed Anouar Sadate, ancien député et neveu de l’ex-président égyptien du même nom. « Même s’il faut condamner toute personne violant la vie privée d’un autre citoyen et la sécurité nationale, je ne vois pas l’utilité de mesures aussi sévères et restrictives. L’Égypte a besoin au contraire d’ouverture si l’on veut que sa situation retourne à la normale », ajoute ce membre du mouvement civil démocratique, une coalition d’opposants laïques.

Au début de l’été, des appels à la démission du président égyptien avaient circulé sur les réseaux sociaux, au moment où de nouvelles mesures d’austérité et hausses de prix entraient en vigueur. « J’étais fâché. L’Égypte ne survivra pas à une autre phase révolutionnaire », avait peu après réagi le chef de l’État, réélu avec 97 % des voix au printemps dernier.

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