Tunisie : Béji Caïd Essebsi est en faveur de l’égalité dans l’héritage

Soixante-deux ans après la promulgation du code du statut personnel (CSP), qui confère aux Tunisiennes les droits les plus larges jamais octroyés aux femmes dans le monde arabe, Béji Caïd Essebsi est à l’initiative d’une réforme clé : l’égalité dans l’héritage.

Dans l’allocution qu’il a tenue le 13 août à Carthage, à l’occasion de la fête de la femme et de la famille, le président de la République Béji Caïd Essebsi a lancé un nouveau défi sociétal en annonçant, devant un parterre essentiellement féminin, qu’il proposerait dans les semaines qui viennent un projet de loi établissant l’égalité dans l’héritage. Un amendement au code du statut personnel (CSP), qui avait essuyé en 1956 le refus des oulémas tunisiens.

Sans être drastique, ce projet bouleverse les traditions ancrées dans les pays arabo-musulmans. Il permet au légataire d’opter pour l’égalité entre ses héritiers ou de préférer la formule édictée par la loi coranique. Un système à la carte qui permet de satisfaire l’ensemble des partis.

Démarche progressiste

La démarche n’en demeure pas moins audacieuse au regard d’une mesure aussi taboue que clivante pour la société. Depuis la publication, en juin 2018, du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), qui met en conformité les lois en vigueur avec les principes d’égalité et de libertés inscrits dans la Constitution et les conventions internationales paraphées par la Tunisie, une polémique virulente enfle, alimentée par les islamistes et les conservateurs.


>>> A LIRE – Tunisie : politiques, milices, imams… Le rapport sur les libertés individuelles et l’égalité fait réagir


Ces derniers craignent que ces mesures ne détruisent la famille, notamment avec le point permettant à la femme d’être chef de famille et surtout celui attribuant, aux femmes et aux hommes, des parts égales dans l’héritage. Toucher à cette question est un bouleversement que les fondamentalistes récusent en s’appuyant sur les règles coraniques.

Dans ses propos, Béji Caïd Essebsi a adopté une approche quasi pédagogique. De manière très simple, il a expliqué aux Tunisiens qu’en tant que « garant de la Constitution », sa référence est « la loi fondamentale qui définit la Tunisie comme État civil » et considère dans son article 29 que les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et devoirs sans aucune distinction.

Par ce biais, le locataire de Carthage a pris à revers les détracteurs du projet de la Colibe. Il a également rappelé que le parti Ennahdha, dont l’idéologie est en lien avec l’islam, avait voté à une large majorité cette Constitution et ne pouvait aujourd’hui se dédire de cet engagement. Le président a précisé que l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) aurait le dernier mot et a ainsi mis la balle dans le camp des partis.

Le projet sera-t-il accepté par les Tunisiens ?

Certains seront sans doute déçus que les autres libertés et égalités figurant au rapport de la Colibe (telles que la liberté de culte, l’abolition de la peine de mort, la décriminalisation de l’homosexualité etc.) n’aient pas été évoquées mais, en Tunisie, la question de l’héritage est cruciale pour les réformes sociétales et la position de la femme.

D’autres s’attendaient à ce que le président attaque plus directement les conservateurs. Mais Béji Caïd Essebsi, qui considère que « le CSP a été la principale révolution de la Tunisie au XXe siècle », s’est positionné avec solennité comme le président de tous les Tunisiens, qu’il invite à aller de l’avant.

Il a ainsi lancé à sa manière une révolution tranquille et sait que la partie est à peine amorcée. Il faudra un lobbying dans les cercles du pouvoir et une solide vulgarisation auprès des citoyens pour faire accepter un projet qui conviendrait à tous.

Quitter la version mobile