En Tunisie, la crise sociale s’accentue et aucune issue sans dialogue, selon un opposant

Ahmed Néjib Chebbi, président de l’Instance constitutive du parti « L’Espoir »

-Si la Direction actuelle ne parvenait pas à identifier une sortie de crise, elle serait inéluctablement condamnée à être déposée

-Le Congrès national du Salut se doit d’évoquer les réformes constitutionnelles, dès lors qu’il s’est avéré que la dichotomie et le bicéphalisme du pouvoir exécutif n’ont pas aidé l’Etat à garantir sa stabilité

-Des pays occidentaux ont lié la poursuite de la coopération avec les autorités tunisiennes au rétablissement de la démocratie

Ahmed Néjib Chebbi, président de l’Instance constitutive du parti « L’Espoir » (opposition), a mis en garde que la crise socio-économique s’accentue en Tunisie et risque de générer une explosion, mettant l’accent sur le fait qu’il n’y a point d’issue sans dialogue national, qui n’exclura que celui qui s’est autoexclu.

C’est ce que ressort d’une interview accordée par Chebbi (77 ans), opposant historique au régime de l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali (1987-2011) au siège de son parti dans la capitale Tunis.

Les dangers de l’explosion sociale

Chebbi a indiqué que la crise sociale s’accentue explosera, dès lors que les signes de l’explosion sont réunis, ajoutant que « l’explosion sociale est synonyme de dégradation de la sécurité sociale et ainsi de la sûreté publique et aucun pays ne peut évoluer sereinement au rythme des perturbations d’ordre sécuritaire et social ».

Il a estimé que « si la Direction actuelle ne parvenait pas à identifier une sortie de crise, elle sera inéluctablement condamnée à chuter ».

Chebbi a qualifié l’entreprise initiée par le président Kais Saied « d’aventure ». Il a dit, à ce propos, « Je ne pensais pas que cette aventure pourrait se durer pendant six mois mais elle est encore en place et j’observe qu’elle fait face à une crise économique et financière qui aura des conséquences sociales inédites ».

« Nous constatons une pénurie de certains produits alimentaires de base et que les salaires des fonctionnaires sont payés en retard, de même que les moyens financiers de l’Etat ont provoqué une impossibilité d’honorer des engagements intérieurs et extérieurs à l’égard des fournisseurs et des créanciers de l’Etat », a-t-il relevé.

En plus de cela, a-t-il poursuivi, « Cette aventure fait face à un siège international qui aura comme conséquences de resserrer l’étau sur le plan financier ».

Chebbi a ajouté que « le discours du chef de l’État aujourd’hui n’encourage pas et n’incite pas à l’investissement mais plutôt au départ des investisseurs locaux vers d’autres marchés…. La Tunisie est aujourd’hui dans l’impasse ».

Suppression de tous les corps intermédiaires

Chebbi a relevé que « l’essence de la philosophie sur laquelle se base cette aventure est la dualité entre le peuple et le président. Cette dualité supprime tous les corps intermédiaires, l’ensemble des organisations socioprofessionnelle et de la société civile, et toutes les forces politiques, soit l’ensemble des institutions élues qui sont supprimées dans le programme du chef de l’État ».

« Ainsi, l’agenda n’est pas celle d’un référendum destiné au peuple, dépositaire effectif de la souveraineté, pour choisir la voie à emprunter à l’avenir, mais il s’agit plutôt d’exclure toutes les composantes de la société et d’un moyen pour obtenir et renouveler l’adhésion de tous les Tunisiens en dehors de tout dialogue », a-t-il ajouté.

S’agissant de la nature des forces qui appuient la poursuite de « l’aventure » de Saied, Chebbi a indiqué que le « président est introverti et est figé dans l’ostracisme et il puise son dynamisme et sa vitalité de ses convictions personnelles, en pensant qu’il est porteur d’un message universel. Ainsi, la Tunisie n’est qu’une rampe de lancement dans l’imaginaire du président ».

Une société civile disloquée

Chebbi a expliqué que « Ce qui encourage cette expérience à se poursuivre, avec regret, l’état de l’opinion publique qui a toujours de l’espoir à ce que Kais Saied trouve les solutions à la crise, cette opinion publique qui n’identifie pas de liens entre l’échec du président à gérer les affaires du pays et les privations que constate la population dans sa vie quotidienne, en termes de menace de son pouvoir d’achat, de sa sécurité de l’emploi et des prestations de base, telles que la santé et l’enseignement ».

Le deuxième facteur à travers lequel Chebbi explique la poursuite du projet de Saïd jusqu’à aujourd’hui est « l’état de désaffection et de dislocation de la Société civile ».

Il a ajouté : « Chaque organisation de la Société civile est enlisée dans des considérations catégorielles, qu’il s’agisse des syndicats ou des organisations socioprofessionnelles, dont certaines comptent des dizaines de milliers d’adhérents, mais leur réflexions et actions ne s’élèvent pas au niveau des défis auxquels fait face le pays ».
Chebbi a estimé que « l’équation tunisienne est marquée par un paradoxe, celui d’un échec politique économique et diplomatique sans précédent de l’Etat mais aussi une situation de relaxation au plan interne ».

Morcellement de l’opposition

Concernant les forces d’opposition hostiles à Saied, Chebbi a dit qu’elles se divisent en deux camps et orientations.
La première, selon lui, « consiste en des forces qui ont soutenu ce qu’elles ont considéré comme étant un tournant, un changement ou l’opportunité du 25 juillet, avant de se rétracter. Leurs positions sont fondées sur une réaction au système qui était en place avant le 25 juillet, avec comme noyau dur le mouvement Ennahdha ».

Il a considéré que « ces forces, et malgré leurs différentes positions affichées à l’endroit de la situation actuelle, alimentent toujours des réactions pareilles qui n’aident pas à édifier un Front national uni et cohérent contre le putsch ».

La deuxième orientation au sein de l’opposition actuelle suspend, selon Chebbi, les différends du passé jusqu’au retour de la démocratie afin de rétablir la possibilité de l’imputation politique et de la concurrence pacifique ».
Chebbi se considère comme faisant partie de ces forces qui estiment que « les compagnons de route ne sont pas choisis par l’homme mais c’est la nature des crises qui impose le choix. Ainsi, pour moi, je m’emploie à unifier toutes les forces sans exception pour sauver la Tunisie ».

Un Congrès national du Salut

Chebbi a relevé que « le pays a un besoin impérieux d’un salut social et économique d’urgence, qui sans changement politique, n’aura pas de sens ».

Il a ajouté que le pays a également besoin d’un « sauvetage politique, à travers des réformes à introduire sur les systèmes constitutionnel et électoral afin de ne pas retourner à la case départ ».

Chebbi a poursuivi : « Le pays a un besoin impérieux d’un dialogue national inclusif qui n’exclut personne, sauf celui qui s’autoexclut, et ce dialogue doit être chargé de définir le programme des priorités de la relance économique et sociale afin de faire sortir la Tunisie de cette crise et de la sauver ».

Il a proposé de « charger une équipe compétente qui bénéficie de la confiance des Tunisiens pour définir un programme des priorités de relance économique et sociale avant de le soumettre au Congrès national du Salut ».
Il a ajouté que « le Congrès national du Salut doit traiter les réformes constitutionnelles après qu’il s’est avéré à tout ce que la dichotomie et le bicéphalisme du pouvoir exécutif n’ont pas aidé l’Etat à se stabiliser ».

« Ce dialogue se doit également de traiter les réformes devant être opérées au niveau des systèmes politique et électoral afin que des forces plus cohérentes émergent dans le paysage parlementaire ».
Le troisième point devant être examiné par le Congrès est une « feuille de route…comment pouvoir retourner à la démocratie représentative à travers des élections anticipées ? »

Un dialogue sans exclusion

Chebbi a mis l’accent sur le fait que « ce Dialogue national n’exclut personne, y compris le président je ne l’exclus pas sauf s’il veut s’autoexclure et il est prévu qu’il s’exclura de son propre chef ».

Ce dialogue, a-t-il dit, « ne doit pas être tributaire de la volonté d’une quelconque partie, quelle qu’elle soit ».
Et Chebbi de s’interroger : « Abir Moussi (présidente du PDL) va-t-elle s’exclure ou pas? La porte doit rester ouverte et celui ou celle qui ne veut pas accéder à la tente du Dialogie national, libre à lui ».

Il a estimé que le « Dialogue n’est pas un choix mais une destinée et c’est l’issue de toutes les sociétés qui subissent des crises, qu’elles soient politiques comme celle que nous vivons actuellement ou une guerre civile comme cela se déroule dans certaines patries »

Briser la glace avec Ennahdha

Concernant la grève de la faim observée par des activistes du Mouvement ‘’Citoyens contre le coup d’Etat’’, en janvier dernier, et la mort du manifestant Ridha Bouzayen, au cours des manifestations organisées en marge de la célébration du 11ème anniversaire du 14 janvier, Chebbi a indiqué que ces évènements ont ‘’contribué à briser la glace existante entre les composantes du paysage politique, dont ma relation personnelle avec le Mouvement Ennahdha qui souffrait d’une certaine stagnation’’.
Il a relevé que ‘’ des contacts (avec Ennahdha) existent mais il n’y a pas de dialogue ou de consultations concernant des consultations jusqu’à présent’’.

La Communauté internationale…une épreuve et un isolement

Concernant les positions des forces internationales à l’égard de l’actuelle crise et de leur impact, Chebbi a indiqué que la « Tunisie a été l’initiatrice du Printemps arabe, qui était prometteur pour établir une démocratie représentative dans le sud de la Méditerranée et le monde entier portait de grands espoirs au sujet de l’expérience tunisienne et est demeuré optimiste, du moins une partie du monde occidental qui a parié sur la réussite de cette expérience ».

« Cette expérience fait face à une menace et au danger de l’échec et de la disparition », a-t-il dit.
Chebbi a ajouté que « les pays, avec lesquels la Tunisie a fondé ses relations stratégiques et historiques tels que l’UE et le G7, ou encore au plan bilatéral à l’instar des États-Unis d’Amérique, de l’Allemagne, du Japon et du Canada, toutes ces parties ont exprimé leurs craintes quant à l’avenir de la démocratie et pris une position à l’endroit de pouvoir tunisien en suspendant la coopération jusqu’au rétablissement de la démocratie ».

Saied, seul responsable de l’isolement international de la Tunisie

Chebbi a dit que « le pays vit aujourd’hui au rythme de cette épreuve et une seule personne est responsable de l’isolement international, cette personne qui s’est autorisée un jour de sortir aux gens pour leur annoncer qu’il est le chef du pouvoir exécutif, qu’il dirige le gouvernement en nommant et en limogeant les ministres, contrairement au texte de la Constitution ».

« Cette personne a suspendu l’institution législative élue par le peuple, indépendamment des reproches que l’on pourrait lui adresser, elle s’est emparée du pouvoir exécutif en vertu du décret du 22 septembre 2021 et harcèle aujourd’hui le pouvoir judiciaire et le quatrième pouvoir, celui des médias », a poursuivi Chebbi dans une allusion à Saied.

« La solution pour mettre un terme à cet isolement consiste à rétablir la situation que nous avons choisi, à savoir celle de la démocratie représentative en tant que cadre de développement, de prospérité et d’essor pour rejoindre le peloton du monde civilisé », a-t-il conclu.

Il convient de noter que Chebbi avait présidé l’instance politique supérieure du Parti Républicain et contribué ensuite à la création du Parti Démocrate Progressiste et préside actuellement l’Instance constitutive du parti « L’Espoir ».

Quitter la version mobile