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Le Qatar, un an après le blocus.

Le blocus du Qatar n’est plus une affaire locale ou même régionale mais il est en train de devenir très vite un vecteur majeur d’instabilité internationale. Les facteurs du désordre se multiplient et se propagent vers d’autres foyers au Moyen-Orient comme en témoigne la situation actuelle en Jordanie.

Une année s’est écoulée après que quatre Etats membres du conseil de coopération du Golfe (CCG) en plus de l’Egypte du général as-Sissi aient imposé au Qatar un blocus aérien, terrestre et même maritime il y a plus d’un an. Cette déclaration fut le premier épisode d’une douloureuse expérience qui a coûté très cher à tous les protagonistes de la crise et a fortement déstabilisé un contexte régional déjà très instable.

Le 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et l’Egypte annoncent la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, une action suivie par la fermeture des points de passage et la prise de mesures extrêmes envers Doha et ses ressortissants. L’objectif ne se limitait pas à mettre la pression sur un petit pays qui ne partage pas la même vision politique que les pays du CCG, mais il se situe plutôt au cœur d’une opération de remodelage de la carte de la région et des rapports de force qui la régissent.

 La crise entre deux piratages

Le point de départ était sans doute le Haking de l’agence qatarie de l’information « QNA » par un réseau de pirates réparti sur deux capitales voisines, Riyad et Abu-Dhabi, et ceci selon des déclarations officieuses et officielles de hauts responsables à Doha. L’objet du piratage était l’attribution d’un discours au chef de l’Etat, l’Emir Tamim bin Hamad al- Thani, dans lequel il soutenait l’ennemi juré de l’Arabie Saoudite, l’Iran. L’accusation est absurde car l’Emir du Qatar n’a pas tenu de discours ce jour-là selon le directeur exécutif de la « Qatar Media corporation » Cheikh Abderrahmane bin Hamad al-Thani.

Le point d’arrivée est un deuxième piratage qui concerne cette fois-ci non pas l’agence nationale mais la chaîne sportive mondiale beIN-Sports. Le piratage remonte aux premiers mois de la crise mais a pris ces derniers jours une forme plus officielle. La direction du satellite Arabsat basé en Arabie Saoudite déclare l’arrivée de son bouquet qui va diffuser les matchs de la coupe du monde au Moyen-Orient et au Maghreb.  L’affaire est illégale et a poussé le Qatar à réclamer ses droits auprès de la fédération internationale de football.

Entre ces deux points se dessine la crise la plus profonde et la plus longue qui a secoué la structure interne des pays du CCG ces dernières années. Les deux points sont aussi indicateurs de l’ampleur d’une guerre fratricide ayant coûté très cher à la population locale et qui a affaibli les rapports affectifs qui unissent les tribus de la péninsule arabique depuis des siècles.

Les facteurs profonds

Il est presque certain aujourd’hui que la cause déclarée pour justifier le blocus n’est pas la vraie raison mais elle servait à donner le coup de départ à une opération plus vaste. Le piratage de l’agence QNA n’était en fait qu’un trompe-l’œil pour dissimuler les vraies raisons d’une crise régionale qui allait débuter. C’est ce qu’a révélé récemment une enquête diffusée sur la chaîne al-Jazeera fournissant des preuves et des témoignages accablants.

Sans revenir à l’histoire de la constitution même des Etats du Golfe vers les milieux du siècle dernier et l’échec d’Ibn-Saoud à annexer une petite poche terrestre dans le Golfe arabique, l’histoire contemporaine nous en dit suffisamment sur les rapports de force et d’influence entre les familles régnantes dans la région. « La grande sœur » comme on la nomme dans le Golfe, a toujours cherché à dominer les petits Etats membres du conseil en influençant leurs décisions politiques. Cette démarche s’est accentuée après la guerre du Golfe et la libération du Koweït en réponse à l’invasion irakienne. L’Arabie Saoudite a également défini les priorités stratégiques des pays du CCG en plaçant l’Iran à la tête des menaces régionales. Riyad a réussi à imposer sa vision stratégique régionale et à fixer les règles des alliances et des axes mais le printemps arabe a fortement déstabilisé les équilibres établis surtout en Egypte. La chute rapide de Moubarak, de Kaddafi ou même du président tunisien -qui a trouvé refuge à Riyad- a brutalement fragilisé l’ordre régional dominé par la décision politique saoudienne.

La position du Qatar qui a soutenu les revendications populaires en Tunisie, en Egypte et en Libye était perçue par Riyad comme un acte de désobéissance et d’agression. Mais suite au coup d’Etat militaire en Egypte et la reprise de l’équilibre régional antérieur aux révolutions du printemps, le nouveau quartet a décidé de rétablir l’ordre au sein de la structure régionale en neutralisant toute forme de dissidence. « Le printemps des peuples » a levé le voile sur les opérateurs régionaux de seconde classe et révélé leur poids dans le maintien de la dictature régionale depuis les années cinquante. « Le blocus du Qatar » n’est en fait qu’une punition infligée à un Etat qui cherche à s’émanciper de l’hégémonie saoudienne et « préserver sa souveraineté et sa décision politique » comme l’a souligné lors d’une interview avec la chaîne américaine Fox News le ministre qatari des affaires étrangères, Cheikh Mohammad bin Abedrrahman al-Thani.

Une récolte amère

« Il n’y aura pas de gagnant dans une guerre entre frères », déclare un haut responsable régional. Aujourd’hui, la crise atteint son apogée avec une menace militaire directe formulée par des responsables saoudiens en réponse à l’intention de Doha de se procurer le système de défense russe  S-400. Une lettre fut envoyée à la présidence française et révélée par la presse demandant à la France d’empêcher Doha de s’acquérir du S-400. Bien que les pertes du blocus soient énormes sur le plan économique pour tous les acteurs régionaux et qui se chiffrent par les dizaines de milliards de dollars, la plus grosse perte se place au niveau de l’unité sociale et affective des peuples de la région. La crise a entraîné une fracture profonde dans le tissu social et tribal de la péninsule arabique, un tissu solide qui s’étend au-delà des pays concernés directement par le blocus.

Les mesures prises par les autorités saoudiennes à l’encontre des pèlerins et ressortissants qataris étaient extrêmes et irresponsables malgré les déclarations officielles qui cherchent à minimiser l’ampleur de la crise. Adel Al-Jubeir, ministre saoudien des affaires étrangères ne cesse de marteler que  » la crise avec le Qatar est infiniment petite  » et cela partout où la crise est évoquée par la presse. Plus encore, le prince Mohamed Bin Salman, vrai roi et vrai dirigeant du pays, a répondu que « le conflit avec le Qatar n’est pas un souci pour moi. Un simple fonctionnaire est chargé de cette affaire ». Il ajoute, à l’occasion d’une interview lors de sa dernière visite au Caire : « Vous savez bien que la population du Qatar est inférieure au nombre d’habitants dans une rue au Caire », une phrase qui dit tout sur la vision politique régionale du future roi d’Arabie Saoudite.

La Crise était aussi révélatrice du rôle joué par les Emirats Arabes Unis contre le Qatar qui a refusé de participer à l’achèvement du « printemps des peuples ». Les Emiriens sont partout, au Yémen, en Libye, en Tunisie, en Egypte et même en Palestine. Le plan consiste à mettre en place un empire régional et un cercle d’influence qui s’étend du Golfe arabique au Maghreb en passant par l’Egypte. En effet, après le soutien apporté au putschiste Es-Sissi et au Maréchal Hafter en Libye et le soutien financier des forces contre-révolutionnaires en Tunisie, les Emiriens cherchent par tous les moyens à se débarrasser d’un modèle de réussite à leur côté.

Le Qatar est sorti encore plus fort de cette expérience en dépit de lourdes pertes financières surtout pendant les premiers mois du blocus. Le pays a réussi très vite à absorber le choc et à s’adapter rapidement avec les nouvelles conditions imposées par « les bloqueurs ». Plus encore, Doha est en train d’acquérir les moyens nécessaires pour renforcer son autosuffisance économique et alimentaire sur le long terme.  Ceci a transformé le blocus en une occasion rêvée pour s’affranchir de la domination saoudienne d’un côté et se doter des outils nécessaires pour une indépendance optimale.

En attendant une initiative américaine prévue -mais reste non confirmée- pour le mois de septembre prochain afin de dénouer la crise, de très hauts responsables Qataris ont confirmé très récemment qu’ils sont prêts au dialogue et que la crise ne profite plus à personne. Dans un article publié le 5 juin dernier dans le New York Times, le ministre Qatari des affaires étrangères a déclaré : «  nous espérons que la sagesse l’emporte et que nos voisins nous joindront pour créer des nouveaux mécanismes afin de promouvoir la sécurité de nos intérêts et faire valoir la paix. Nous pouvons rendre notre région -et le monde entier -plus stable et plus pacifique en restaurant l’unité dans le Golfe et en mettant en place un nouveau cadre de résolution de conflits »

Face à cette main tendue, les pays du quartet continuent à faire la sourde oreille et maintiennent des mesures agressives envers Doha comme en témoigne la récente menace militaire de l’Arabie Saoudite. De plus, c’est la deuxième année consécutive que les pèlerins et les visiteurs Qataris sont interdits d’accès aux lieux saints. Et à cela s’ajoute le maintien de la fermeture de la seule voie terrestre entre les deux pays. Les autorités de Riyad interdisent toujours à la Qatari Airways d’atterrir en Arabie.

Bien qu’il soit difficile de lire la suite des événements dans un cadre miné par les tensions et les guerres, la crise du Golfe risque d’activer l’instabilité dans de nouveaux foyers régionaux comme c’est le cas de la Jordanie aujourd’hui. Il est par contre certain que le Moyen-Orient est en train de connaître un tournant décisif dans son histoire moderne car, inscrit dans la durée, le blocus du Qatar pourrait engendrer des effets similaires à l’invasion du Koweït en 1990 et faire plonger toute la région dans un grand désordre.

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