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Burkina Faso: les mines d’or sous la menace djihadiste

C’était devenu un rituel. Dans le bus pour la mine de Boungou, au Burkina Faso, certains employés avaient pris l’habitude de prier. « A chaque fois, lorsqu’on approchait de la forêt d’Ougarou, le point le plus dangereux du trajet, je suppliais pour ne pas croiser des bandits ou des terroristes », confie un technicien burkinabé de la Semafo, la société canadienne qui exploite ce site aurifère de l’est du pays. Mais ce matin du 6 novembre, quand il s’engouffre avec ses collègues, de retour de la mine, sur cette longue piste en terre rouge en partie déconnectée du réseau téléphonique, personne ne voit le piège se refermer sur leur convoi.

L’escorte militaire, en tête, saute sur un engin explosif, puis les cinq bus de la compagnie, transportant 241 employés et fournisseurs, sont pris d’assaut par des hommes armés. « Ils nous accusaient de travailler pour les Blancs et tiraient sur les employés en criant “Allahou Akbar”. Ils sont revenus deux fois pour tuer les survivants. Certains ont pu fuir ou se cacher sous les corps de leurs voisins. C’était un massacre », témoigne cet employé, rescapé de l’embuscade qui a fait 40 morts et une soixantaine de blessés, selon un dernier bilan officiel. Au Burkina, l’attaque, la plus meurtrière enregistrée depuis le début des violences djihadistes en 2015, a provoqué une immense onde de choc.

Ses répercussions pourraient même fragiliser le secteur minier du pays, quatrième producteur d’or en Afrique. Ce n’est pas la première fois que des assauts visent des convois de la Semafo sur le territoire burkinabé. En août et décembre 2018, onze personnes – un sous-traitant et des gendarmes – avaient déjà été tuées sur le même axe par des groupes armés. « A plusieurs reprises, on a averti le siège [de la société] des risques encourus. Tout le monde savait que la route était dangereuse, d’autant que l’heure et le jour du passage des convois étaient connus dans la zone », confie un ancien salarié expatrié de la Semafo, qui préfère rester discret.

En 2018, la société sise à Montréal avait préféré revoir ses mesures de sécurité, décidant d’acheminer désormais ses travailleurs expatriés par hélicoptère jusqu’aux mines et renforçant les escortes militaires sur les convois des nationaux. Mais l’attaque du 6 novembre met au jour les failles du dispositif. « L’escorte n’a pas riposté, sans doute à cause de l’effet de surprise, alors que les assaillants auraient pu être repérés grâce à un véhicule de reconnaissance. Certains militaires ont même pris la fuite. Et les renforts ont mis plusieurs heures à arriver », fustige une source sécuritaire burkinabée.

Chacun se renvoie la balle

Sur le terrain, les groupes armés ont affiné leur mode opératoire. Et les forces de défense et de sécurité locales, elles-mêmes ciblées par les attaques, semblent incapables d’y faire face. L’Etat, censé assurer « la sécurisation des activités minières et des sites miniers », comme le stipule le code minier burkinabé, facture ses services d’escortes aux sociétés minières qui le demandent. Mais il semble dépassé.

En coulisses, chacun se renvoie la balle. Dans un courrier daté du 14 novembre et consulté par Le Monde Afrique, le ministre de la sécurité, Ousséni Compaoré, demande ainsi aux responsables de sociétés d’exploitation minière de « renforcer [leur] dispositif sécuritaire [et] de corriger les éventuelles insuffisances ». Les compagnies se voient obligées de sous-traiter une partie de la sécurité à des entreprises privées, mais leurs services coûtent cher. Selon nos informations, il faut compter environ 1 million de francs CFA (plus de 1 500 euros) pour un véhicule d’escorte, aller-retour, et près de dix fois plus pour un hélicoptère privé.

Pour le Burkina, pays pauvre et enclavé du Sahel comptant douze mines aurifères industrielles, les enjeux économiques sont de taille. La production d’or a atteint 52,6 tonnes en 2018, contribuant à 11,4 % du PIB, selon les données du ministère des mines. Ce secteur, un des moteurs de l’économie burkinabée, génère 9 200 emplois directs et 26 000 indirects. « Le milieu reste attractif et résilient, mais la multiplication des attaques risque de créer de l’inquiétude pour les investisseurs », pointe Toussaint Bamouni, directeur exécutif de la Chambre des mines du Burkina.

L’insécurité a déjà un impact sur l’activité. La recherche de nouveaux gisements, qui nécessite une grande mobilité des équipes sur le terrain, est au ralenti, quasi interrompue dans l’est, le centre-nord et le nord, touchés par les violences. « Les mines ont une durée de vie limitée. Il faut sans cesse chercher de nouvelles réserves, sans quoi l’exploitation va s’essouffler. Et les gisements devraient s’épuiser d’ici une dizaine d’années », alerte le géophysicien et spécialiste en prospection minière Emmanuel Saba.

Dans ce climat délétère, il est aussi plus difficile d’attirer les expatriés qualifiés. Et même côté burkinabé, certains se montrent plus hésitants : « Je ne suis pas sûr de vouloir retourner travailler à Boungou. Si on nous met des hélicos comme les expatriés, d’accord, mais par la route, pas question ! De toute façon, ils trouveront toujours des gens prêts à prendre des risques, mais à quel prix ? », se demande un sous-traitant de la mine.

Un géologue canadien tué

Près de deux semaines après l’attaque du convoi de la Semafo, la société n’a toujours pas redémarré les activités du site, qui devait produire entre 220 000 et 240 000 onces d’or cette année. « Il faudra du temps pour évaluer le nouveau contexte opérationnel et déterminer comment […] exploiter nos mines de manière sécurisée au Burkina Faso. D’ici là, les opérations à la mine de Boungou resteront suspendues », indique, dans un communiqué, cette société qui compte environ 2 500 employés et sous-traitants au Burkina. En attendant, son titre continue sa dégringolade à la Bourse de Toronto, où il a déjà perdu environ 33 % de sa valeur depuis l’attaque. Contactée, la Semafo n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Or l’environnement sécuritaire continue de se dégrader, sous les assauts de groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda ou à l’Etat islamique. Une dizaine d’attaques et d’enlèvements contre des miniers ont été enregistrés depuis 2015. Le 15 janvier dernier, un géologue canadien en mission d’exploration dans l’est du pays a été kidnappé puis tué. Dans un communiqué publié mercredi 20 novembre, le groupe indien Balaji, qui dirige la mine d’or d’Inata, dans le nord, rappelle qu’il a dû suspendre ses opérations sine die à cause des « conditions sécuritaires ». Le 23 septembre 2018, trois employés, dont le fils du PDG, avaient été enlevés. Le mois suivant, la force française « Barkhane » avait été appelée d’urgence en renfort pour contrer une attaque d’envergure sur la base de vie de l’exploitation. Un gendarme avait été tué.

« Les groupes djihadistes au Sahel visent régulièrement les intérêts occidentaux dans la région et menacent les compagnies étrangères dans leur propagande. Ils cherchent aussi à discréditer les autorités locales, incapables d’assurer la sécurité des populations, et à frapper le pays au portefeuille », résume Tristan Guéret, analyste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne au sein de Risk Advisory Group, un cabinet londonien de conseil en gestion des risques.

Dans les pays sahéliens, le boom aurifère attire d’ailleurs la convoitise des bandes armées, qui profitent du faible maillage sécuritaire pour s’implanter. Sur les quelque 800 mines d’orpaillage estimées par la Chambre des mines du Burkina, difficile de donner le nombre exact de celles sous influence des réseaux criminels. Mais à en croire les spécialistes, des groupes armés prélèveraient la « zakat » (l’aumône légale, l’un des piliers de l’islam) et sécuriseraient certains sites clandestins en échange de taxes dans les régions burkinabées du Sahel et de l’Est.

« Les mines peuvent aussi servir de cache d’armes, de lieu de prêche et de recrutement. Les groupes djihadistes savent instrumentaliser la colère et les frustrations de certains orpailleurs, parfois lésés par les forces de sécurité ou qui peuvent se sentir exclus par la gouvernance des sociétés industrielles », détaille le chercheur Mathieu Pellerin, auteur d’un rapport publié le 13 novembre par le centre d’analyse International Crisis Group. Du nitrate d’ammonium, un composant utilisé sur les exploitations aurifères dans l’est du pays, a ainsi été retrouvé dans des engins explosifs improvisés (IED) utilisés lors d’attaques dans la région.

Par mesure de sécurité, les autorités ont préféré fermer temporairement l’ensemble des sites d’orpaillage de la région de l’Est en mars, envenimant encore un peu plus la situation. « Beaucoup de jeunes ont perdu leur emploi depuis. Certains se sentent délaissés et peuvent être tentés de collaborer avec les groupes armés », s’inquiète un habitant de Fada N’Gourma, chef-lieu de la région.

SourceMonde

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