Menaces sur Mohamed Ben Salmane : retour sur l’attaque du 21 avril dernier contre le palais royal et le prince-héritier saoudien

Afin d’y voir un peu plus clair sur le jeu de cache-cache de MBS depuis la fusillade du 21 avril passé à Riyad qui a visé le prince-héritier saoudien et qui aurait blessé gravement « MBS », Alexandre del Valle a interrogé deux spécialistes reconnus du Moyen-Orient qui ont longtemps vécu dans les pays du Golfe et qui ont reçu des informations de première mains qui nous permettent d’y voir un peu plus clair : Emmanuel Razavi, grand Reporter et fondateur de Global Geonews, et Ghislain de Castelbajac, ancien analyste du SGDN et consultant pour plusieurs monarchies du Golfe arabo-persique.

Le réformisme de MBS en question

Le zèle réformiste de MBS constitue incontestablement un casus belli et une pierre d’achoppement entre le jeune prince héritier et la vieille garde ainsi que les « corrompus », qu’il a remis à leur place. Selon Emmanuel Razavi, Grand reporter spécialiste du Golfe Persique et directeur du site géopolitique globalgeonews.com, « l’histoire s’accélère en Arabie saoudite avec ce prince héritier disruptif, à l’origine de profonds changements. Qu’il le fasse par opportunisme politique ou par désir sincère de faire évoluer une société enfermée dans un mode de vie d’un autre temps, peu importe, il agit, semble vouloir réformer en profondeur ».

Ghislain de Castelbajac rappelle pour sa part que le concept même d’ « Islah », la Réforme, cher au prince héritier d’Arabie Saoudite, est totalement « incompatible avec l’islam rigoriste des salafistes-wahhabites d’Arabie (…).

MBS sait que la tâche qui l’attend sera rude, et que le sort d’un réformateur iconoclaste en Arabie est souvent éclaboussé de sang… ». Emmanuel Razavi avertit quant à lui que le prince fougueux et controversé « serait bien inspiré de se concentrer sur les réformes indispensables de la société saoudienne et de se désengager des massacres de la population Yéménite, de sa position ultra persophobe, de ses choix hasardeux d’armement de rebelles incontrôlables en Syrie, de ses montées de colères face au voisin qatari, ainsi que de son jeu de marionnettiste avec le premier ministre libanais Saad Hariri, aujourd’hui nu comme un vers face à un Hezbollah tout puissant depuis les dernières élections législatives au pays des cèdres ». Razavi poursuit en appelant à ne surtout pas arriver en Orient avec des idées reçues occidentales et être trop naïf : « d’abord parce que la notion de réforme en islam n’est pas toujours synonyme de progrès social et démocratique. Ensuite parce que Salmane est menacé par la vieille garde qui veut l’abattre. Salmane le sait, et il a entamé plusieurs vagues d’arrestations contre tous ceux qui ne partageaient pas sa vision de réformes, sous couvert de lutte contre la corruption, ou encore de lutte contre ceux qu’il désigne comme des traitres. Dans tous les cas, cette frénésie d’arrestations, teintée de paranoïa le met dans une situation délicate. Il est à la fois un détonateur, et une cible. Il y a aussi de nombreux foyers de contestations en Arabie saoudite, notamment parmi les chiites de l’Est du pays qui représentent une minorité souvent brimée. Plus que jamais, Al Qaïda Dans la Péninsule arabique, très présente et disposant de relais dans la société saoudienne et ailleurs, lui reproche son ‘progressisme’ forcené. Il est donc menacé à plusieurs niveaux.

En guise de conclusion : gare à l’Iran…

Lui-même d’origine iranienne, bien que d’une famille proche du Shah d’Iran et aucunement soupçonnable de complaisance avec le régime des Mollahs iraniens, Emmanuel Razavi avertit également que si MBS « ne manque pas de courage, il ne faut pas perdre de vue non plus que la façon dont Salmane a lancé sa campagne de changements perturbe les équilibres fragiles dans le Golfe Persique ». On le voit par exemple avec le Qatar, depuis le Printemps 2017, et au Yémen puis dans la gestion du dossier iranien. « Le fait qu’il attise le feu de la discorde avec l‘Iran est très dangereux », d’après Razavi, qui rappelle que l’Iran est un grand pays, une puissance historiquement incontournable dans le Golfe, que sa société est jeune, très éduquée, ouverte sur le monde, et surtout que son armée sans aucun doute mieux entraînée et beaucoup plus cohérente que l’armée saoudienne… ». De ce point de vue, le talon d’Achille de MBS est probablement son bellicisme régional et son obsession anti-chiite-iranienne. Selon Emmanuel Razavi, « il faut donc empêcher Bin Salmane, encouragé par les Américains et Trump de poursuivre sa quête anti-iranienne. Sans quoi cela risque de conduire à un nouveau conflit dans la région qui ne lui sera pas favorable, même s’il croit unir son pays contre un ennemi extérieur et qu’il se croit soutenu sur le long terme par les Etats-Unis »… Suite au prochain épisode, notamment concernant l’hypothétique refonte de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 que le retrait américain a rendu totalement caduc.

Quitter la version mobile