Une enquête ouverte en France sur le gouverneur de la Banque centrale libanaise

Après la justice suisse, c’est le tour de la justice française de s’intéresser au patrimoine européen du gouverneur de la Banque centrale du Liban, Riad Salamé, figure désormais honnie par son peuple à mesure que le pays s’enfonce dans la pire crise économique de son histoire.

Le Parquet national financier (PNF) a en effet ouvert une enquête préliminaire pour « association de malfaiteurs » et « blanchiment en bande organisée », a appris dimanche 6 juin l’Agence France-Presse d’une source proche du dossier, information confirmée par une source judiciaire. L’enquête devrait notamment permettre d’éclaircir la provenance du riche patrimoine de M. Salamé, aujourd’hui âgé de 70 ans.

Riad Salamé était déjà visé depuis plusieurs mois par une enquête en Suisse pour « blanchiment d’argent aggravé en lien avec un éventuel détournement de fonds au détriment de la Banque du Liban ».

Deux plaintes déposées en France

Deux plaintes avaient été déposées en avril en France, où le Libanais possède plusieurs biens immobiliers, et par où des flux financiers suspects ont pu transiter. La première plainte avait été portée par la fondation suisse Accountability Now, et la seconde par l’association Sherpa, conjointement avec le Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban, un groupe né de la crise économique qui frappe le pays depuis 2019, selon les informations du Monde.

La plainte déposée par ces derniers accuse M. Salamé et quatre membres de son entourage (son frère Raja, son fils, Nadi, l’un de ses neveux et l’une de ses proches collaboratrices à la Banque centrale libanaise, Marianne Hoayek) d’avoir constitué frauduleusement un riche patrimoine en Europe.

Les associations demandent ainsi à la justice d’enquêter sur la fuite massive de capitaux libanais depuis le début de la crise, ainsi que sur la constitution d’un patrimoine immobilier de luxe disproportionné compte tenu des revenus des personnes visées, ou encore sur la responsabilité des intermédiaires financiers, via des paradis fiscaux et des prête-noms.

Une figure conspuée

Arrivé à la tête de la banque centrale libanaise en 1993 après avoir œuvré pendant vingt ans comme banquier d’affaires chez Merrill Lynch à Beyrouth et à Paris, cet influent personnage a longtemps été salué par la classe politique libanaise et par le monde économique.

Mais alors que le Liban fait face à une crise économique sans précédent – l’une des pires crises financières du monde depuis le milieu du XIXe siècle, selon la Banque mondiale – ce proche du clan de la famille Hariri est aujourd’hui l’une des figures les plus conspuées par la rue.

L’opinion publique le soupçonne d’avoir, comme d’autres hauts responsables du pays, discrètement transféré d’importantes sommes à l’étranger au moment du soulèvement d’octobre 2019, et ce malgré les restrictions draconiennes adoptées par les banques.

Selon une plainte déposée en France par deux associations, « le patrimoine global » de Riad Salamé « dépasserait aujourd’hui les 2 milliards de dollars ». « Ses avoirs identifiés au Luxembourg atteignaient 94 millions de dollars en 2018 », souligne la plainte, qui s’appuie notamment sur les révélations du site libanais Daraj et sur les investigations de la plate-forme Organized Crime and Corruption Reporting Project.

M. Salamé a contesté les chiffres ainsi avancés, affirmant avoir constitué sa fortune à partir d’héritages et de sa carrière dans la finance. Le pilote de la Banque centrale explique que « ses avoirs personnels s’élevaient à 23 millions de dollars (19 millions d’euros) » lorsqu’il a pris ses fonctions, en 1993, et « que la croissance de son patrimoine, depuis, résulte d’investissements qui ne contreviennent pas aux obligations liées à ses fonctions », ce que contestent plusieurs juristes libanais.

« Une méga-enquête s’ouvre, œcuménique, à dimension européenne », se sont félicités dimanche auprès de l’AFP, à l’annonce de l’ouverture de pareille investigation par la France, les avocats de Sherpa et du Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban, Me William Bourdon et Me Amélie Lefebvre. « De vastes opérations de blanchiment seront auscultées, qui devraient ouvrir tous les tiroirs de la mafia qui a mis le Liban à genoux », espèrent-ils.

Cette nouvelle enquête du PNF s’inscrit dans la lignée des affaires dites des « biens mal acquis », des dossiers dans lesquels la justice française, poussée par le combat de plusieurs ONG, scrute l’origine du patrimoine en France de divers dirigeants étrangers (notamment africains ou moyen-orientaux) – des biens potentiellement acquis avec de l’argent public ayant été détourné dans leur pays.

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